En 2000, X-Men de Brian Singer, bientôt suivi de X-Men 2 (Brian Singer, 2003) et X-Men l’affrontement final (Brett Ratner, 2006) signait le grand retour des super-héros au cinéma. La trilogie culte inspirée des comics Marvel rencontra un très large écho en salle : presque 300 millions de dollars de recette (pour un budget de 75 millions) pour le premier opus, 400 millions pour X-Men 2 et 440 pour le troisième volet. Autant dire, un énorme succès populaire. Ce qui est particulièrement intéressant avec cette saga, au-delà de toute considération esthétique, c’est combien ces films sont représentatifs de l’inventivité et de la richesse de tout un pan de la production hollywoodienne. En effet, alors même que beaucoup – a fortiori parmi les élites intellectuelles – ne voient dans le cinéma commercial américain qu’un « mauvais objet culturel » abrutissant et sans intérêt, il me semble que des œuvres comme les X-Men disent justement bien la complexité d’un grand nombre de ces films qui, derrière leur apparence de blockbusters et de divertissement un peu simplistes, n’en demeurent pas moins de passionnantes réflexions sur les questions sociopolitiques qui agitent nos sociétés. Les X-Men, au-delà de leur dimension spectaculaire et distrayante, proposent en effet une réflexion très pertinente sur la question de l’Autre dans la société étasunienne d’aujourd’hui, mais aussi une nouvelle façon d’aborder la question de l’altérité dans le cinéma hollywoodien – ce que peu de critiques français ont su voir…
Tag Archive for idéologie
X-Men, pop-culture et politique
Intouchables est-il un film raciste ?
Bienvenue chez les prolos : le cinéma populaire français et la lutte des classes
La classe ouvrière va à Hollywood
Boxe et cinéma : combats idéologiques
Encodage/décodage et lectures plurielles : l’exemple de 300 (Zack Snyder, 2007)
Culture mauvais genre
Comme à son habitude le Monde diplomatique vient de faire paraître une compilation de ses meilleurs textes dans le dernier numéro de Manière de voir consacré aux “mauvais genres” dans la culture. Au programme : des articles sur les cinémas, les littératures et les musiques populaires relevant peu ou prou de la culture de masse. Et – oh surprise ! – le propos est plutôt carrément positif, le but du numéro étant justement de réévaluer les productions de la culture de masse. Que de chemin parcouru ! J’ai justement sous les yeux un numéro hors-série de Manière de voir daté de mars 1997 et intitulé “Culture, idéologie et société”. Pour vous donner le ton, l’éditorial de Ramonet, titré “la marchandisation du monde”, pouvait se résumer en gros à ce passage : “De nouveaux et séduisants “opium des masses” proposent une sorte de “meilleur des mondes”, distrayant les citoyens et les détournant de l’action civique et revendicative. Dans ce nouvel âge de l’aliénation, les technologies de la communication jouent, plus que jamais, un rôle central” (p. 6). La messe est dite. Après bien sûr, la teneur des articles relevait du même registre : “Méfaits du petit écran”, “La nouvelle drogue des jeux vidéo”, “Contre l’oppression d’Hollywood”… On ne peut donc qu’apprécier cette nouvelle orientation moins élitiste et moins méprisante à l’égard des goûts populaires de la part d’une revue de prestige située à l’extrême gauche de l’échiquier éditorial. La faute, j’ose espérer, à l’influence de jeunes auteurs, enfants de MTV, de Pac-Man, de Marvel, de Rocky et/ou de Michael Jackson qui ont su voir dans la culture de masse autre chose qu’un nouvel “opium du peuple”. Moralité : il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis. Et je suis bien placé pour en parler parce que j’ai sensiblement suivi le même chemin que le Diplo entre 1997 et aujourd’hui…
R.D. 2010
Les fondements historiques de la « Monoforme »
En 2003 le cinéaste britannique Peter Watkins, auteur entre autres des subversifs La Bombe (1966), Punishment Park (1971) et La Commune (2000) faisait paraître l’ouvrage Media Crisis, un essai de réflexion théorique sur ce qu’il nomme la « Monoforme » des MMAV (Mass Medias Audio-Visuels). Par « Monoforme » le cinéaste indépendant entendait ainsi dénoncer « le dispositif narratif interne (montage, structure narrative, etc.) employé par la télévision et le cinéma commercial pour véhiculer leurs messages. C’est le mitraillage dense et rapide de sons et d’images ; la structure, apparemment fluide mais structurellement fragmentée, qui nous est devenue si familière. Ce dispositif narratif est apparu lors des premières années de l’histoire du cinéma avec le travail novateur de D. W. Griffith et d’autres qui ont développé des techniques de montage rapide, d’action parallèle, d’alternances entre des plans d’ensemble et des plans rapprochés… » (Media Crisis, p. 36-37). Watkins fait ainsi remonter la naissance de la « Monoforme » au cinéaste D.W. Griffith, considéré comme le père du langage cinématographique, autrement dit aux années dix. Essayons donc de remonter le fil de l’histoire pour comprendre comment s’est peu à peu constituée et imposée cette monoforme audiovisuelle.
Le cinéma, vecteur d’idéologies
Même quand il semble apolitique, le cinéma, selon Régis Dubois, reste un puissant vecteur d’idéologies.
Article paru dans Le Mensuel de l’Université n°5, mai 2006.
Si l’invention du cinématographe date de la toute fin du 19ème siècle, le cinéma tel que nous le connaissons aujourd’hui naît véritablement au coeur de la Première Guerre mondiale, en particulier avec Naissance d’une Nation (1915) de l’Américain D.W. Griffith considéré comme l’inventeur du langage cinématographique [1]. La coïncidence est troublante : la déflagration de 14-18 est aussi le point de départ de l’hégémonie américaine et le détonateur de la révolution russe, autant dire du nouvel ordre mondial opposant capitalisme et communisme. Comment dès lors imaginer que le 7ème art, média de masse et puissant vecteur d’idéologie s’il en est, ait pu rester indifférent aux grands enjeux idéologiques de ce siècle ?
Christian Metz constatait à juste titre : « Le film, du seul fait qu’il doit toujours choisir ce qu’il doit montrer et ce qu’il ne montre pas, transforme le monde en discours » [2]. C’est un fait : tout film est politique, même les œuvres les plus neutres en apparence. Car si le cinéma est un art, il est aussi, et peut-être même davantage, une industrie, une pratique sociale et, au-delà, un puissant outil de propagande.